Lorsqu’on nous a invité au Festival de Musique Emergente, qui, comme son nom l’indique, est un festival canadien (mais avant tout Québécois) voué à la découverte musicale, on s’est dit qu’il avait tous les attributs pour nous aider à remplir la mission que l’on s’est donné en créant l’émission Novorama : vous faire découvrir chaque semaine les dernières formations qui repoussent les frontières de la pop, du rock et de l’electro. La réputation du festival et de son “esprit” nous avait déja été vanté par certains de nos “amisquibossentdanslamusique”, eux qui avaient eu la chance d’y être invités les années précédentes. Nous avons donc embarqué caméras, enregistreur numérique et notre regard de “maudit-français” pour nous faire notre propre opinion sur ce rendez-vous musical présenté comme incontournable par des gens de confiance, c’est à dire les canadiens, mais aussi par les autres, c’est à dire nos “amisquibossentdanslamusique”.
11 Minutes de reportage video pour decouvrir le fme
Le FME a donc pris ses quartiers d’été indien dans la région reculée de l’Abitibi-Temiscamingue, à Rouyn-Noranda plus précisément, ville de taille moyenne perchée à 7h de route au nord de Montreal (mais les Canadiens sont bien davantage que nous habitués à ces longues distances en lignes droites, régulateur de vitesse activé et les pieds en éventail en attendant d’éviter un élan ou un ours trop aventureux). Ah l’Abitibi-Temiscamingue, ses lacs, ses forêts, ses truckers aux machines rutilantes, ses pick-ups et ses motos à trois roues Can-Am (qui ressemblent davantage à un vaisseau spatial rétrofuturiste qu’à nos scooters mp3 ou metropolis ridicules) et surtout un nom qu’on a envie de répéter à l’envie, lui qui a necessité trois jours d’immersion pour une prononciation parfaite de la part de vos deux envoyés spéciaux.
Le festival qui nous accueille est rendu possible grâce à une économie mixte entre fonds publics tant régionaux que nationaux, et de fonds privés d’entreprises régionales, tel ce fournisseur d’accès Québécois très implanté dans les télécommunications et le digital, cette fonderie de cuivre, principale activité de la région, ou encore un service de streaming musical qui propose autant toute la musique que tu aimes que des talk shows de l’ex-provocateur Howard Stern ou de présentateurs aux dents trop blanches pour ne pas faire peur, même à un présentateur de BFM TV. Peu importe le côté mainstream ou industriel des financeurs privés du moment que la programmation du festival reste indépendante, ce qui paraît être tout à fait le cas pour le FME, et pourvu que le nom ou le “décor” ne soit pas pollué par l’identité graphique d’une quelconque marque comme c’est parfois le cas en France (coucou Les Inrocks-Phillips-Levis-Durex-VaniaPocket- Carolin)
L’événement a été co-fondé et est organisé par Sandy Boutin (sans doute un cousin de notre Christine nationale, mais celui-là, l’ayant rencontré, on lui souhaite bonne chance pour se marier avec), un chum (mec) du coin qui nous explique plus en détail dans notre reportage vidéo comment lui est venu l’idée de se lancer dans ce projet.
Question ambiance et atmosphère, Sandy Boutin a prouvé son savoir-faire : la ville vit pendant trois jours au rythme du festival, les rues se parent de références au FME jusqu’à des endroits improbables, et la 7ème rue, forte de sa proximité avec un disquaire et deux salles principales du festival, est fermée à la circulation pour l’occasion. Et là ou en France on aurait dressé de grandes barrières Heras pour dissuader les resquilleurs qui auraient l’idée de passer par l’arrière de la scène, on n’a trouvé que de petites barrières jaunes sur pieds qu’un enfant de 2 ans aurait su contourner ou qu’un poney Shetland aurait sauté sans effort et avec une grâce zingaresque. Bienvenue au Canada !
Ce qui frappe d’entrée dans cette cour de jeu où un canoë trône dans les arbres (on me glisse d’ailleurs à l’oreillette que le public pouvait le gagner à un jeu concours) et où la grosse scène exterieure a été dressée, c’est l’ambiance familiale qui y règne. Ici, pas de tribu sociologique unique ou de spécialistes de la musique qui se toisent mais un esprit bon enfant, transgénérationnel, de la petite qui se tape des fous rires sur les épaules de papa à des sexagénaires qui ne rechignent pas à remuer de la tête sur l’électro-pop torturée de Doldrums en attendant Ariane Moffat. Les “locaux” semblent curieux et ouverts et s’approprient leur festival, rêve de tout programmateur non-élitiste, et ça fait plaisir à voir.
Autre trouvaille qui participe à l’ambiance : ces concerts sauvages que le festival appelle “impromptus” et qui restent secrets jusqu’aux dernières heures même pour les journalistes et professionnels, dont la curiosité est excitée par ces alertes envoyées par l’application smartphone du festival. “Pssst” nous chuchotte-t’elle dans la poche via des notifications pour nous envoyer tantôt sur une plateforme en bord de lac, tantôt devant un garage automobile très couleur locale. Certains artistes y feront même un meilleur concert que celui donné en salle, comme ce fut particulièrement le cas pour les français de Totorro, dont le math rock sauvage apparaissait beaucoup moins scolaire et policé devant des festivaliers éméchés et sautillants à 3h du matin sur un décor de télés cathodiques que dans la salle de l’Agora, ancienne église où le public les a découverts religieusement assis.
Côté programmation c’est le grand brassage et ça ratisse large, de la pop/folk au hip hop, de la langue française à l’anglais, des formes les plus “grand public” des musiques actuelles (hors variété heureusement) à celles plus exigeantes en terme de composition, expérimentation ou même de niveau sonore et de degré de saturation des guitares. Chacun peut y trouver son compte et participer à la fête, tout en se ménageant des pauses pour déguster un Pulled-Pork du food truck camion restaurateur de rue ou la fameuse Poutine de chez Maurasse, le restaurant Snack emblématique de la ville de Rouyn-Noranda.
Seul défaut de ce grand mélange, il peut arriver que l’on passe à côté de groupes qui nous correspondent pour ne pas en manquer d’autres ou honorer une itv et se retrouver ensuite à attendre bien longtemps qu’un artiste nous interesse à nouveau. A ce petit jeu d’emploi du temps, nous sommes passé à côté du live des Marinellis, de Corridor, de Moon King, soit le frangin du producteur derrière Doldrums qu’on vous a présenté dans l’émission, et celui de ce groupe au nom improbable, Look Vibrant, dont on vous propose une interview dans le reportage vidéo, ainsi qu’une version plus longue très bientôt dans l’émission. Cependant on vous invite vivement à découvrir ces artistes que le festival nous a permis de connaître.
Les valeurs sûres Deerhoof, Duchess Says et Kid Koala n’ont pas déçu, même si l’on a connu de bien meilleurs concerts de leur part, surtout pour Deerhoof qui a joué dans l’église l’Agora devant un public assis, bien loin des foules bondissantes qui participent habituellement au spectacle offert par ces trublions. Et même constat pour Kid Koala qui nous a offert un Dj set certes créatif en lui même et fun comme à son habitude, mais sans les magnifiques créations vidéo et musicales qui correspondent à ses compositions propres et à ses lives beaucoup plus personnels.
Les vraies découvertes sont à aller chercher du côté des canadiens de Seoul, et leur ambiant-pop racée, des Suisses de Puts Marie dont le concert très poignant m’a réconcilié temporairement avec le chant très (trop?) maniéré du chanteur, et Ponctuation, qui ont tiré leur épingle du jeu malgré leur proximité d’esprit avec les compositions de John Dwyer de Thee Oh Sees, remarquée par nos amis de Noisey, Mowno et Villa Schweppes. On n’oubliera pas les jeunes vendomois de Ropoporose évidemment, que vous avez pu découvrir dans notre compilation annuelle, et qui ont su séduire l’armée de programmateurs français dépéchés là pour l’occasion. Les chances seront donc grandes de les retrouver très bientôt dans un festival près de chez vous, au même titre que Jeanne Added dont l’ascension fulgurante nous épargne les présentations lors de ce compte-rendu, et qui a su elle aussi s’attirer les faveurs de la salle de l’Agora lors du FME.
Le bilan artistique est cependant mitigé, car si les découvertes indie-rock ou pop étaient au rendez-vous, la nuit électro n’a pas tenu ses promesses avec la musique surannée d’Iphaze, l’électro “Kavinskiesque” et “Drivesque” de Däs Mortal qui ne faisait pas que friser les fautes de goût ou encore l’erreur de casting Molly, à qui on aurait préféré un Neue Grafik, Mondkopf, Low Jack ou même un duo comme Vendredi ou un groupe comme Bloum pour nous faire danser sur ces sonorités House ou techno qui excitent la scène française actuelle. Etonnant d’ailleurs qu’au pays de Jacques Greene, Richie Hawtin, Kaytranada, Tiga ou encore de Caribou/Daphni, il ait été si dur pour le programmateur de trouver un plateau plus en phase avec ce qui fait la musique electro contemporaine.Pas de découvertes saisissantes non plus chez les québécois chantant en français, comme avait pu l’être Monogrenade à une époque, hormis Les Marinellis qu’on découvre pour notre part mais qui ont déja de la bouteille et quelques fans dans l’hexagone. A ce sujet, pour bien comprendre la posture québécoise au sujet de la langue en musique, Il faut se transporter dans une dimension où l’on considère qu’un français qui chante en anglais n’a pas peut-être pas compris que se rendre universel pour chanter des textes au final mal écrits n’était pas forcément son meilleur coup à jouer. Si la formule, entendue sur place, prête à sourire et contient une part de vérité, elle ne s’est pas forcément vérifiée avec les textes offerts par des artistes québécois apparaissant tout de même très influencés par le songwriting anglophone, qui subordonne le sens à la sonorité.
Avec ses salles à taille humaine n’excédant que très rarement les 300 personnes, son atmosphère si particulière de ville minière du grand nord canadien et ses découvertes musicales variées, le FME offre une parenthèse enchantée qu’on ne peut que vous conseiller d’aller découvrir, au détour d’un séjour dans la très dynamique et agréable ville de Montréal. Et vous serez sûr d’être bien accueillis par vos “cousins” canadiens, comme ils se plaisent à nous le rappeler.
Crédits photos : Christian Leduc