Cinq ans après Forever, Ya Girl, disque salué par Solange, Jay-Z et Moses Sumney, l’américaine Chakeiya Richmond, alias keiyaA, revient avec hooke’s law, un album aussi radical qu’intime. Dix-neuf morceaux pour cinquante-deux minutes : Loin d’une liste de titres juxtaposés, l’album fonctionne comme un seul souffle, une voix qui se découvre et s’affirme au fur et à mesure.

C’est aussi sa première sortie sous pavillon XL Recordings, et il puise son titre dans la loi de Hooke, qui relie tension et déformation : une métaphore limpide pour un disque où la reconstruction passe par la contrainte, la rupture, la résistance.
Une partie de ces titres vient de milk thot, pièce créée à New York en 2025 mêlant poésie, chorégraphie et musique live.

Cette dimension performative irrigue l’album : pas de progression narrative classique, mais une succession d’élans, de défaillances, de retours, comme un monologue intérieur qui refuse la ligne droite. Si l’album Forever, Ya Girl faisait référence au journal intime, hooke’s law évoque cette fois l’éruption. Ici, la blessure n’est pas racontée : elle est vécue de l’intérieur, traversée jusqu’à ce qu’elle finisse par prendre la parole.
L’album serait né à la fin d’une relation toxique et il montre une guérison faite de soubresauts, loin de toute ligne droite.

keiyaA élargit son vocabulaire sonore : touches de metal et de punk, Auto-Tune utilisé comme matériau brut, pulsations héritées des nuits post-pandémies où les clubs redevenaient des lieux de renaissance. On pense autant à la vulnérabilité de la soul qu’aux éclats d’un rock abrasif, à la sensualité du R&B qu’aux fulgurances de l’underground électronique.

Les références sont nombreuses, mais digérées : Prince, qu’elle reprenait sur son premier album, Kate Bush, MIKE, les avant-gardes électroniques afro-diasporiques, le spoken word d’Amiri Baraka ou de Pat Parker, qui hantent l’album comme des voix fondatrices, rappelant d’où l’on parle et vers quoi l’on tend. keiyaA chante, produit, arrange : elle érige un paysage sonore entier, où souffle, silence et timbre vocal sont travaillés avec une minutie presque organique. Et cette maîtrise ne vient pas calmer l’ardeur : elle lui donne ici une direction.
Musicalement, hooke’s law glisse entre jazz spectral, P-Funk déformé, hip-hop saturé, un R&B déconstruit, qui s’aventure hors de ses codes habituels et nappes ambient inquiétantes.

Certains passages dansent, d’autres suffoquent. L’espace s’ouvre et se resserre, entre chambre, club, sanctuaire, ou scène, comme si l’album respirait. On y trouve des murmures, des cris contenus, des harmonies qui s’effritent puis se reforment. Rien n’est gratuit : chaque élément porte le poids de ce qu’il raconte.

Long sur le papier, l’album se vit plutôt comme un film sensoriel. On y revient pour un détail, une cassure, une phrase à demi susurrée, à demi retenue ou pour cette sensation rare d’approcher une œuvre façonnée à la main, patiemment, comme un artisanat sonore.
Ce deuxième album confirme une artiste complète, qui refuse le lisse et préfère l’ombre travaillée, la faille assumée, la tension fertile. hooke’s law n’offre pas de résolution nette, seulement une trajectoire, un mouvement compressé prêt à se déplier. Façon de reconnaître qu’on ne se répare jamais complètement, et que cette fragilité peut aussi être lumineuse.

https://keiyaa.bandcamp.com/album/hooke-s-law

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