Beaucoup de choses ont changé en huit ans pour Miguel. Sur le plan personnel d’abord : séparation d’avec Nazanin Mandi en 2023, puis naissance de son premier enfant avec Margaret Zhang. Et le monde autour de lui n’a pas été beaucoup plus stable. Son album War & Leisure (2017) contenait déjà des secousses, et l’album CAOS, sorti le jour de ses 40 ans, plonge directement au cœur du tumulte et interroge ce que signifie se reconstruire pour l’artiste.
Selon Miguel, se réinventer n’a rien eu d’un processus apaisé : il explique avoir dû accepter une forme d’effondrement intérieur pour pouvoir se reconstruire. À ses yeux, le changement véritable passe par une phase de rupture, parfois brutale, et l’album CAOS en est la traduction sonore : un disque volontairement rugueux, traversé de tensions, où l’amour se confond parfois avec la colère et où la fragilité n’exclut pas la fureur. Trente-sept minutes tendues, sans chercher la séduction immédiate : on traverse ici la crise de l’intérieur, plutôt que d’en livrer un récit adouci .
Sur le plan musical, l’album s’aventure loin des lignes sensuelles et psychédéliques qui ont fait sa renommée.
Miguel plonge dans des textures industrielles, des guitares abrasives héritées du rock des années 90, et des pulsations électroniques sombres. L’album CAOS emprunte autant à la soul futuriste des Parliament qu’aux assauts nerveux de Nine Inch Nails. En chantant à nouveau en espagnol, surtout dans le morceau qui donne son nom à l’album, Miguel revient à ses racines mexicaines et enrichit son univers d’une tonalité plus intime.
Là où Adorn ou Coffee célébraient l’abandon amoureux, CAOS s’aventure dans des territoires plus âpres en parlant d’obsession, de perte, et d’instinct de survie. Miguel mélange l'espagnol et l'anglais non pas comme des fioritures décoratives mais comme un code émotionnel qui reflète les réalités d'un Afro-Américain mexicain naviguant entre amour et perte dans deux cultures.
L'album assume également une dimension politique rare dans son œuvre. "El Pleito" (qui signifie "le combat") aborde l'expérience des migrants sur une guitare discrète et des cordes dramatiques, faisant allusion à Gaza et à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. L’espagnol et l’anglais se répondent chez Miguel, non comme un effet de style mais comme une langue intime à deux facettes, fidèle à son identité afro-américaine et mexicaine, prise entre l’amour, la perte et ce double ancrage culturel Et parfois, l’album se fait tendre : Angel’s Song, pour son fils, en est le plus bel exemple.
Après avoir traversé l’orage, Miguel retrouve donc peu à peu une forme de clarté. Always Time, déjà paru en 2024, referme le disque sur une note dépouillée : Il y est question d’accepter ce qui se défait, de laisser partir ce qu’ont doit laisser partir , puis de continuer son chemin. CAOS ne cherche pas à plaire ni à rassurer : il bouscule, étonne, persiste. Un album exigeant, parfois rude, mais profondément humain.
Alors que beaucoup de R&B mise aujourd’hui sur la douceur sans relief, Miguel choisit le grain, le défaut, la tension. CAOS ne séduira peut-être pas tout le monde, mais c’est le genre de disque qui traverse le temps, parce qu’il assume ses failles et avance avec elles.
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