Depuis leurs débuts sur XL recordings avec l’album Believer en 2021, Smerz a toujours brouillé les frontières : entre pop et performance, entre avant-garde électronique et intimisme adolescent. Big City Life pousse cette ambivalence encore plus loin. Il s’agit moins d’un album que d’un kaléidoscope d’humeurs, un carnet de pensées sonores griffonné à l’encre numérique, où chaque fragment semble à deux doigts de disparaître.

Avec ses 13 titres, rarement au-dessus de trois minutes, Big City Life joue la carte de la brièveté comme principe esthétique. “What”, 26 secondes à peine, évoque les interludes de Björk ou les glitchs de la scène PC Music, mais sans exubérance : ici, tout est feutré, presque sous silence. La voix de Henriette Motzfeldt flotte en demi-teinte, souvent comme un murmure dans le creux de l’oreille, tandis que Catharina Stoltenberg triture les textures comme on froisse du papier bulle dans une pièce vide.

Le morceau qui a donné son nom à l’album et qui ouvre les hostilités si je puis dire, installe immédiatement une atmosphère faussement simple : avec ses arpèges de synthé en suspension, son rythme cassé et son ambiance claustrophobe. “Roll the Dice” suit comme une crise d’anxiété en miniature avec des pulsations haletantes, une ligne vocale nerveuse, et un espace sonore qui semble toujours au bord du vertige. Le sentiment général est celui d’un monde urbain vu à travers un filtre sensoriel désaturé : celui de deux jeunes femmes qui observent l’agitation sans jamais vraiment y participer.

Mais l’album Big City Life n’est pas qu’un geste esthétique, c’est aussi une réinvention du format pop. “You Got Time and I Got Money” marie pulsation quasi-R’n’B et tension sourde, dans une ballade qui refuse toute résolution. “Feisty” ou “Street Style” jouent sur la répétition comme une forme d’auto-hypnose, à mi-chemin entre le spoken word et la comptine glitchée. Le tout évoque aussi bien les collages de Mica Levi que les expérimentations de Tirzah, sauf qu’ici, tout semble encore plus impénétrable, comme si la tendresse elle-même avait été mise sous vide.

C’est dans des titres comme “A Thousand Lies” ou “Close” que l’album trouve ses moments de clarté, qu’elle soit mélodique ou émotionnelle. La distance affective fond un peu, la structure s’ouvre, et l’on perçoit enfin l’intention derrière le geste : évoquer, sans jamais vraiment nommer. Ces morceaux permettent à l’album de respirer, et donnent au chaos ambient une raison d’être.

Big City Life est un disque de tension douce. Il résiste aux catégories, refuse les refrains faciles, et cultive une esthétique du peu : quelques mots, quelques notes, et surtout, un feutré omniprésent. Il ne cherche pas à séduire, il trouble, dérange, puis fascine. Et c’est précisément dans ce refus de plaire que Smerz affirme sa singularité.

https://smerzforyou.bandcamp.com/album/big-city-life

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