Derrière le soupir sarcastique du titre "Ugh" se cache une explosion sonore où frustration, humour, tristesse et tendresse fusionnent dans un kaléidoscope pop hors normes. Le trio américain Harry the Nightgown, formé par Sami Perez, Spencer Hartling (alias Dutchkiss) et Luke Macdonald, revient avec un deuxième album aussi dense que vulnérable, une œuvre d’avant-pop DIY où chaque morceau semble passer par un prisme légèrement brisé, à la fois familier et résolument mutant.
Né de sessions enregistrées dans le studio expérimental Wiggle World de Spencer Hartling à Los Angeles, Ugh est un disque construit à la main, avec une attention obsessionnelle aux textures, aux distorsions de voix, aux collages électroniques et aux ruptures rythmiques. Mais derrière le travail de l’artisan, il y a l’impulsion de l’intime : ce disque parle d’échec amoureux, d’angoisse existentielle et d’un certain rejet du monde tel qu’il est, le tout avec une tendresse désarmante.
Dès bellboy, morceau d’ouverture qu’on vient d’écouter, on est plongé dans une bulle étrange : harmonies tordues, beat lo-fi compressé, voix traitée jusqu’à frôler l’irréel, mais une émotion qui perce malgré le filtre. Le groupe puise dans l’hyperpop, le R&B alternatif, les expérimentations de The Books ou d’Animal Collective période Feels, avec une audace désinvolte qui n’est jamais gratuite. Chaque morceau semble déconstruit puis recollé selon une logique propre : connor ressemble à une berceuse électronique glitchée, miss dragon joue avec le trip-hop en l’emmenant sur un terrain plus abstrait, tandis que falling down that hill évoque une version fragile et ralentie d’un tube de college rock des 90s.
Ce qui rend Ugh si attachant, c’est aussi son refus du cynisme.
Même lorsqu’ils chantent « i suck » ou décrivent des événements cataclysmiques dans extinction events, il y a toujours une chaleur dans les arrangements, une lumière dans le mix. Cette volonté de ne jamais sombrer complètement, de faire de la douleur une matière sonore malléable, fait penser aux productions de Yves Tumor ou aux albums solo de Caroline Polachek, mais passés à la moulinette d’un enregistrement maison.
La dynamique du trio fonctionne parfaitement. Sami Perez, qui officie aussi chez Cherry Glazerr, pose sa voix comme un fil conducteur émotionnel, capable d’être tour à tour enfantine, désabusée ou doucement amoureuse. Spencer Hartling, producteur et architecte sonore du projet, invente des paysages électroniques où rien ne reste figé. Quant à Luke Macdonald, il apporte une énergie plus punk, plus nerveuse, qui électrise certaines compositions (nice place, say what you want).
À mi-chemin entre la sincérité lo-fi de Frankie Cosmos, l'inventivité sonore de SOPHIE et la poésie absurde de Dean Blunt, Ugh est un disque exigeant et accessible, à la fois hypersensible et joyeusement bordélique. Il capte l’air du temps sans jamais s’y conformer. Un disque qui dit « merde » à la perfection, qui fait de ses failles une force, et qui vous hante bien après la dernière note.
https://harrythenightgown.bandcamp.com/album/ugh