Recevoir les éloges de Nile Rodgers, leader de Chic, n'est pas donné à tout le monde. C'est pourtant ce qui est arrivé au groupe Say She She après la sortie de leur deuxième album intitulé Silver. Difficile d'imaginer une meilleure validation pour ce trio vocal "discodélique" dont le nom joue sur le refrain de l'indélébile morceau "Le Freak" du groupe Chic. Nya Brown, Sabrina Cunningham et Piya Malik, chanteuses et auteures-compositrices, continuent de surfer sur cette vague avec leur troisième album Cut & Rewind, toujours soutenues par les instrumentistes du groupe de funk-soul Orgone.
Le morceau "Disco Life", élégant et survitaminé, réaffirme leur affinité pour la disco en tant que mouvement crucial. Le titre utilise des métaphores du baseball en référence à la Disco Demolition Night, ce coup publicitaire de 1979 - pour promouvoir une station de radio rock qui a rendu le Comiskey Park de Chicago impraticable tout en provoquant la soi-disant mort de la disco. Que ce soit par hasard ou par choix, le morceau ressemble au "And the Beat Goes On" des Whispers, ce tube intemporel qui a dominé les classements R&B et disco et s'est classé dans le Top 20 pop quelques mois après que la disco ait été déclaré morte.
L'album Cut & Rewind respire l’urgence, écrit dans les brefs espaces temps entre tournées incessantes et sessions studio. Cette tension donne son pouls au disque : le morceau qui a donné son nom à l’album et le débute, pose immédiatement le ton avec une ouverture anguleuse et un refrain quasi-opératique qui stupéfie. Là où leurs précédents albums Prism et Silver affinaient le son rétro du trio, ce troisième opus le transforme en quelque chose de plus tranchant, plus politique, mais aussi plus dense en son et en signification.
Plusieurs autres plaisir uptempo recentrent sur les harmonies à trois voix et sur la section rythmique orientée funk d'Orgone. Le morceau "Chapters", qui questionne les relations, déploie un jazz-funk sinueux qui pourrait se glisser entre les Blackbyrds et Lonnie Liston Smith. Puis le titre "She Who Dares" propose un groove nerveux digne de Grace Jones à l'époque Compass Point.
Say She She se réfère rarement aux inspirations pré-disco. mais quand elles le font, elles le font avec brio.
Le morceau "Under the Sun" infuse sa psyché soul-pop d'harmonies célestes, créant un hymne de solidarité avec un swing aérien qui fait sonner la lutte collective de manière radieuse. "Possibilities" constitue une bonne vitrine pour les trois voix principales, planant au-dessus d'un arrangement infusé de funk. "Little Kisses" ralentit le tempo, laissant leurs harmonies scintiller avec une délicatesse rappelant Minnie Riperton.
Il y a des moments où la densité d'idées, que ce soit commentaire politique, harmonies complexes, arrangements stratifiés, menace de submerger les chansons. Pourtant, même dans sa plus grande effervescence, l'album Cut & Rewind reste cohérent grâce à la chimie inébranlable du trio. Leurs voix, individuellement distinctes mais harmonieusement entrelacées, demeurent l'instrument central de l'album.
Au final, l'album Cut & Rewind est plus qu'une renaissance : c'est une réappropriation du disco et de ses racines radicales. Say She She a créé son œuvre la plus aboutie à ce jour, une bande originale revigorante pour la survie dans un monde marqué par la lutte des classes. Un disque qui a un message politique fort, mais ne sacrifie jamais le groove.
https://saysheshe.bandcamp.com/album/cut-rewind