Elle avait déjà fait parler d’elle avec son précédent disque Monsters, un patchwork de voix multiples et de narrations tordues. Avec l’album Squeeze Me, Sophia Kennedy pousse encore plus loin les contours de sa pop dadaïste, entre théâtre sonore, science-fiction domestique et chansons biscornues. Un disque qui ne vous serre pas contre lui, comme paraît le dire son titre, mais qui vous compresse, vous tord, et vous remue.
Dès l’ouverture “Nose For A Mountain”, tout est posé : la voix théâtrale de Sophia Kennedy, entre comédie musicale et incantation, sur des arrangements qui ne tiennent que par magie. Ça grince autant que ça groove, ça brille puis se dérobe. Imaginez Laurie Anderson remixée par SOPHIE, ou David Lynch qui danserait sur une rythmique qui mélange binaire et ternaire. C’est étrange, parfois drôle, souvent bouleversant. Et profondément libre.
Chaque titre semble ouvrir une pièce différente d’une sorte de maison mentale.
“Drive the Lorry” est une pop-song chargée comme un camion de souvenirs, “Runner” touche à une forme d’épique bancal, à la fois lyrique et lo-fi. Mais c’est dans les détails que l’album fascine : un sample glissé ici, une intonation théâtrale là, et une construction qui explose en plein vol. Le titre “Rodeo” vous attrape à la taille et vous entraîne dans un manège western sous acide ; “Feed Me” pourrait être une complainte robotique sortie d’un karaoké berlinois à 5h du matin.
Sophia Kennedy, c’est l’anti-simplicité. Même les titres les plus courts, comme “Upstairs Cabaret” (à peine deux minutes), ont la densité d’un court-métrage. Sa voix, tantôt grave tantôt mutine, joue tous les rôles, comme si elle tenait à dialoguer avec ses doubles.
Et pourtant, malgré le chaos apparent, l’ensemble est ultra cohérent.
Oui Squeeze Me est un album concept sans concept, une série de visions hallucinées reliées par un fil invisible.
Imaginary Friend qu’on vient d’écouter se présente par exemple comme une ballade spectrale où la voix de Sophia Kennedy se dédouble, entre confession intime et théâtre mental, sur des nappes électroniques inquiétantes et presque enfantines. Comme un rêve éveillé qui vire lentement au trouble.
Le titre Rodeo est pour sa part un western de poche sous psychotropes, où l’on vacille entre bande-son de film d’animation et club berlinois en roue libre. Tout tangue, mais avec une précision de funambule.
“Closing Time” aurait pu être un au revoir classique, mais chez Sophia Kennedy, rien n’est jamais prévisible : c’est une valse de fin du monde, un rideau qui se baisse en clignotant. Puis vient “Hot Match”, titre final et électro-punk, qui explose comme un feu d’artifice court-circuité. Et cette fois le rideau tombe bel et bien.
Sophia Kennedy signe ici un disque de haut vol, cérébral mais incarné, qui confirme son statut d’ovni total sur la scène européenne. Une pop de laboratoire, habitée, où chaque chanson est un personnage, un décor, un retournement.
https://sophiakennedy.bandcamp.com/album/squeeze-me